Quand c'est fini ....c'est fini.....
Quand c’est fini, c’est fini !!
Sofas, divans et canapés……….Et tant d’autres sont délaissés là, sur les planches d’une brocante, chez un antiquaire où dans le hall d’Emmaüs. On ne peut imaginer ce qui se passe dans ce monde de laissés pour compte, lorsque la foule est partie et qu’ils restent seuls, abandonnés. Une histoire troublante m’est arrivée, que je me dois de vous raconter. Cela s’est passé un dimanche matin, chez Emmaüs à Foulain. J’étais seule dans les allées. Je recherchais……. rien de particulier, la bonne occasion de tout et de n’importe quoi…
Il faisait froid ce matin là, je suis passée plusieurs fois dans la même allée. La première fois je n’y ai pris garde, j’entendis comme un bruissement de tissus, puis quelques murmures.. Je tournai la tête de droite de gauche, je me suis rendue compte que j’étais seule. Puis.. Un discret : psitt psitt « viens donc te reposer un peu, tu peux t’asseoir le gardien est assez loin, on voudrait bien te faire part de notre vie de reclus ici, de cette attente insupportable qui est nôtre. »
Le choc fut assez rude, je me tourne de droite et de gauche, je me frotte les yeux et allez savoir pourquoi, je m’assis au milieu d’un canapé Louis Philippe, un beau canapé de velours rouge et boiserie ébène. Le velours était un peu mité mais l’assise était confortable. Le murmure a continué, et sans tendre vraiment l’oreille j’entendais nettement les propos impensables que l’ont me confiait. Très gentiment il me dit qu’il y a belle lurette qu’il n’a ressenti la chaleur de jolies fesses rondes comme les miennes, (oh !) Qu’avant il était abandonné dans le salon d’une maison fermée depuis cinquante ans au moins. Que même avant cette époque, il était enfermé dans le noir, volets fermés, dans un salon qui sentait la naphtaline. On ne rentrait que rarement dans cette grande pièce froide et poussiéreuse, seulement aux grandes cérémonies, les fiançailles de Mademoiselle, son mariage puis le baptême du premier enfant. Seules les personnes âgées pouvaient s’asseoir dessus, surtout pas d’enfants ! Il ne fallait pas salir le velours rouge/cramoisi. Les propriétaires n’avaient pas compris que je devenais complètement crasseux et moisi, a force de ne pas servir.. Je me détruisais de l’intérieur. Et puis le vieux couple est parti, la maison fermée pendant une éternité, puis vendue et là personne ne voulait plus de moi, je fut traîné tiré.. monté dans un camion bâché par des gens qui n’en avaient rien à faire de mon style et de mon beau velours, passé maintenant.. Mais quand même ! Voilà comment ma vie se termine, moi qui a coûté si cher et étais la fierté du couple qui m’a pourtant enfermé toute sa vie, pour ne pas me salir, en fait je me plais mieux ici, je vois du monde, et vous êtes bien mignonne de m’écouter. Mais allez voir plus loin, ils ont d’autres souvenirs plus croustillants eux…. Ma foi, je n’ai rien à faire de plus ce dimanche matin, je me lève et salue bien poliment cet ancêtre des canapés, qui vécu dans un autre temps et qui m’a donné en quelques mots des informations sur la vie d’une famille bourgeoise du début du siècle avant le dernier.
« Je vous en prie prenez place, moi, je suis le Sofa, c’est une dénomination Turc qui vient de Suffa = coussin, soit banquette avec coussins, sorte de canapé ayant trois dossiers.. Je vous donne toutes ces informations, nous sommes souvent pris pour ce que nous ne sommes pas ! » Je veux bien vous tenir compagnie vous me semblez très avenant, aimable et accueillant. Vous êtes très élégant et impressionnant avec vos passementeries, vos soieries fines, douces et brillantes de fils d’or et d’argent. Vos coussins sont moelleux et je m’y sens bien. « Ah ! Comme vous, combien m’ont fait des compliments sur ma tenue et se sont laissé aller dans des confidences personnelles. J’ai conservé des souvenirs de personnalités très connues qui étaient seulement de passage.. Oui, je n’ai pas honte à le dire, c’était ainsi que l’on nommait le salon dans lequel je présidais. Madame, s’appelait Claude, elle recevait beaucoup. Toujours des gens très bien, très propres et parfumés. Ses filles étaient adorables, très gaies et actives, ne reculant devant aucun sacrifice. Le champagne coulait à flot, c’était vraiment une belle époque… et puis une certaine Marthe est passée par là, rétrograde, jalouse peut-être et au nom de je ne sais quoi à fait lancer une loi pour que ce si bel endroit soit fermé.. Vous vous doutez de ma déception et de l’affront que j’ai reçu lorsque je me suis retrouvé dans un bric à brac avec les bancs de bois de l’église Saint Sulpice. Je suis resté digne, les regardant de haut.. Et puis, des années plus tard, je viens d’être traîné sans ménagement, dans ce hangar des Emmaüs. Je suis heureux de pouvoir m’épancher, je vais peut-être être recueilli chez un couple compréhensif »
« Ah ! C’est à moi maintenant de vous raconter ma misère ma p’tit dame, venez voir un peu par ici… Regardez comment est devenu un superbe canapé de 1970.... J’ai été fabriqué en Chine avec le plus beau « Skye » on aurait dit de la vachette ! La famille chez qui je me suis retrouvé au début était très bien. La petite jeune femme soigneuse. Elle me caressait, les soirées étaient chaudes son mari très amoureux.. Je les ai souvent sentis contre moi corps à corps, peau contre peau, cela me plaisait bien. Quelques mois plutard, il y eut un bébé et le pauvre petit a tout gâché. Elle n’avait plus le temps de rien, alors elle me le collait dans un coin avec ses jouets et ses biberons qui se sont mis à dégouliner sur moi, ce qui bientôt à fait des tâches.. Monticules de gras jamais nettoyés. Puis il y eu d’autres fuites et de moins drôles..Je suis devenu tout négligé, le gamin qui grandissait, arrachait petit bout par petit bout la texture de mon être, j’étais couvert de linge non repassé, devant une télé qui les soirs de beuveries explosait, le mari invitait ses copains, tous bières à la main qui s’esclaffaient devant les buts que quelques pantins en bleu et blanc mettaient dans la lucarne.. mais moi je l’avais la petite lucarne devant les yeux.. Et les copains sur le dos qui gesticulaient sans aucune considération pour moi qui les supportaient... Ils se disaient « supporters » je ne comprendrai jamais qui était quoi dans cette histoire c’était moi qui supportait ou eux… Bref, je ne vais pas en faire un fromage… car pour l’odeur ils ne m’ont fait aucun cadeau… et je sais de quoi je parle ! Ma vie va s’arrêter ici, je le sens bien, qui souhaiterait m’avoir chez lui maintenant, de moi dans cet état ? Je vous remercie de m’avoir écouté et d’avoir donné un peu de la chaleur de vos petites fesses, à ce que fut un vieux canapé en Skye »
Là, je suis restée sans paroles, je ne pouvais pas lui faire croire à une autre vie, d’ailleurs quand c’est fini, c’est fini !
Jeanne.
Juillet 2012
Petite Nouvelle faite à l'occasion de la rencontre d'écritures "Clic - Clac" de Cancale