PETITE NOUVELLE ROMANCEE
..... et qui n'a rien d'officiel !!
NOUVELLE ROMANCEE
Voulant être HISTORIQUE
Le printemps est espérance... bientôt nous chanterons son retour. Jean de Luzy a préparé sa monture dès l'aube, la vie l'appelle ailleurs.. La "Maison de Luzy" ne lui offre plus l'espace qu'il souhaite, il s'y sent à l'étroit. Jean est jeune, ses ambitions sont immenses, il veut se confronter à d'autres, aller de l'avant, en découdre.
Nous sommes en l'an 1230. C'est le temps des croisades, Jean n'a pas le désir de suivre le Bon Roy à la conquête de l'infidèle, aucun sentiment de soulèvement ne l'habite, le pèlerinage dont on parle tant, il n'en a cure. Il souhaite seulement sortir de l'enfermement dans lequel il se sent pris, une force plus forte que lui le pousse à agir, il a le désir d'aider tous ces manants qui l'entourent à sortir de leur misère.. Mais il n'a pas le droit d'aînesse, sa grande famille ne lui laisse pas les coudées franches, pour cela il doit aller voir ailleurs. Trouver d'autres bases pour fonder des façons de vivre différentes, voilà ce qui l'anime.
Ce matin l'air est frais, dans la brume, Jean part vers l'Ouest, la route des vraies conquêtes. Les chemins de la forêt se croisent, de grosses bornes taillées, en indiquent les directions. La frondaison est superbe, les arbres reverdissent, laissant les jeunes bourgeons éclater.. Quelques manants, ramassent le bois mort que des vieilles femmes portent en lourds ballots sur leur dos. Ils travaillent, entourés d'enfants, allant et venant, à la recherche de la moindre empreinte laissée par le gibier, qu'ils sauront bien, le soir venu, retrouver pris dans leurs collets.
Le cavalier, est un homme blond, jeune et mince, aux sourcils épais, il pousse son cheval à l'extrême, la robe de l'alezan est luisante de sueur. Il doit arriver dans le fief de sa cousine, Jeanne de Chateauvillain avant la nuit. Au loin, voici les murs qui entourent le château dont la masse formidable, dressée sur son éperon rocheux, se dessine dans la plaine fertile. A main gauche les méandres de la rivière, forment des boucles où il doit être facile d'attraper une truite… ce qui le fit sourire. Il ralentit le pas, admire le paysage tout en caressant sa monture. La vallée, entourée de monts chapeautés de résineux, donnent une grande force et une sérénité à l'ensemble. Ce pays est riche pense Jean de Luzy, ce domaine est une des clefs de Bourgogne! Cette pensée le réjouit.. Sa cousine, seule et âgée a laissé ses biens en jachère. Le crépuscule tombe maintenant, il ne doit plus flâner. Sans plus attendre il franchit les remparts et le pont-levis, que le galop du cheval fait résonner. Il met pied à terre dans la cour d'honneur pour aller présenter ses respects à Dame Jeanne, la vieille cousine aura du lui faire préparer un repas, ainsi qu'une couche. Une jeune parente, Ermengarde vit près de Dame Jeanne et l'aide dans les besoins domestiques de ce vaste château.
Avant toute chose, le cheval alezan doit être soigné et pansé !! Jean cherche les écuries du château, il n'entend pas de hennissements, aucun crottin sur les pavés, tout semble avoir été déserté, il doit bien exister quelques valets, pour fournir, foin et grain à sa monture exténuée, …. Ohé. ..Ohé réponds l'écho
La cour du château est vaste, sans ordre, le délabrement est visible, quelques murs sont éventrés, les guerres ont laissé des traces que la propriétaire du château n'a pu relever. La femme forte qu'était sa cousine a été vaincue par la guerre entre France et Bourgogne. Les gens de guerre, au service de l'un ou de l'autre, ne veulent pas une paix qui signifierait pour eux une vie tranquille et rangée, mode de vie qui ne leur conviendrait pas, aussi continuent ils de piller, de rançonner comme moyens d'existence … ils sont devenus brigands et sèment la terreur sur tous les chemins.
En entrant dans ce vaste château, les pommettes rouges et le regard brillant, Jean espère pouvoir lui redonner vie, redorer son blason, s'opposer aux œuvres dévastatrices des bandits, remettre au travail les pauvres vilains désemparés, sur ces terres prometteuses. Jean ressent en lui une force incomparable, les anges le mènent, cette force, il souhaite la mettre au service des autres.
Dans une salle basse lourdement voûtées, la lumière du jour tombante passe par des fenêtres en ogives, Dame Jeanne le reçoit dignement. Un feu flambe haut et clair dans l'immense cheminée absorbant l'humidité de la nuit et celle de l'épaisse muraille Après les présentations d'usage, les respects, les lettres de recommandations lues, une soupe de gruaux fut servie. Jean fatigué par sa longue chevauchée n'est guère bavard, mais la chaleur du feu, le savoureux civet de lièvre lui délient la langue et il ne peut s'empêcher de parler des projets formulés en rêve pour l'avenir de ce château.
Ermengarde, assise dans l'ombre sous le manteau de la cheminée, écoute avec beaucoup d'attention, rouge de confusion, les mains moites, elle boit ses paroles. Lorsque Jean la regarde, elle baisse les yeux, elle n'ose planter son regard dans celui de ce beau chevalier. Au moindre signe de Dame Jeanne, elle bondit, tel un chat, lui apporter les onguents que réclament les douleurs de la vieille femme.
- Ce jeune homme a le cœur bon se dit elle et il est beau !!
Jean n'ose regarder du côté d'Ermengarde, mais ce regard intense, posé sur lui, il le ressent puissant, cela lui donne vigueur et force aussi expose-t-il avec précisions ses convections. Il devient intarissable.. les heures s'égrènent à la lueur vacillante du boisseau..
Le lendemain, effervescence dans tout le domaine.
La nouvelle de la venue du cousin de Dame Jeanne s'est répandue très vite, du plus petit valet à l'écuyer, tous sont là en attente dans la cour d'honneur.. Pauvres manants, en haillons et sabots, faisant semblant de vaquer à des occupations depuis trop longtemps délaissées. Tous veulent faire connaissance avec ce visiteur, qui porte en lui l'espoir d'une ère nouvelle... espoir de donner force et courage à la bonne Dame Jeanne, pour bouter hors les murs les angoisses de ces malheurs successifs, de réapprendre à vivre et à travailler sans crainte de l'ennemi, et ces infâmes écorcheurs.
La cour d'honneur reprend très vite son aspect des jours heureux, tant dans la basse cour que chez le petit personnel, tous s'activent, Dame Jeanne voit d'un bon œil cette transformation et envisage l'avenir. Jean n'est pas insensible au charme d'Ermengarde, le couple se forme dans le secret de leur cœur. Dame Jeanne espère en cet amour qui se forge sous ses yeux, comme à l'habitude elle va prier dans la chapelle Sainte-Bénigne, "c'est le meilleur secours que je puisse offrir, Dieu à une telle habitude d'accomplir des merveilles".
Quelques mois plus tard, la cérémonie du mariage fut célébrée, redonnant éclat à ce château endormi. La vie reprenait.
Jean devenant fondateur de la branche de Châteauvillain pensait ainsi passer des jours heureux. L'avenir fut tout autre, les livres d'Histoire nous disent que la huitième croisade était en marche:
Lorsque Louis IX, dit Saint Louis, dans son expédition pour la Palestine, (1250) passa en Champagne avec ses troupes, gonflées de celles d’Hugues de Troyes, et de toutes ces multitudes de pèlerins, Jean voulu partir lui aussi …
Là bas, la vie fut rude, les batailles incessantes et cruelles 300 gentilshommes furent faits prisonniers, Jean était du lot.
La sanction infligée par le vainqueur est systématique : crevaison des yeux. S'en retournant aveugle, Jean rejoint la Champagne et se consacra de tout son soûl à Dieu.
C'est à ce moment que Jean de Châteauvillain, dit Jean l'Aveugle fit construire le couvent des Cordeliers. La chapelle était aussi belle que la Sainte Chapelle de Paris dit-on, et conservait quelques reliques de la vraie Croix.
Ermengarde restée fidèle entoura Jean de son amour, le calme s'installa. Tristement, la bonne Dame Jeanne, très âgée quitta ce monde, Ermengarde décéda elle aussi très vite, laissant son époux bien aimé dans la solitude et le chagrin: Le château prit son voile de deuil et de tristesse.. D’autres souffrances, d'autres guerres, allaient venir encore et encore dévaster ce beau pays.
Jean devint le bienfaiteur des pauvres
Jusqu'à sa mort, Jean est resté seul dans le souvenir de toutes ces sommes d'amour et de bonheur fragiles si patiemment, si douloureusement édifiés. Le grand et beau château connu bonheurs et malheurs, il n'existe plus maintenant qu'une maquette pour nous faire rêver.
Le printemps avait bien amené l'espérance, elle ne fut que de courte durée… D'autres printemps sont venus.. D’autres histoires ont émaillés les pages du grand livre de la vie de notre village de son superbe château qui douloureusement fut pillé, démoli, coupé en son milieu cruellement écartelé.
Jeanne 9 Janvier 2006