Nous aussi sur les routes... émigrés !
Il y a quelques temps déjà je vous ai partagé mes souvenirs de l'évacuation de Juin I940
je retrouve ce récit... le retour !
SEPTEMBRE 1940
Nous sommes toujours dans la ferme de "la Maison Neuve" chez Monsieur Daloubeix, près d'Ussel en Corrèze.
La situation est catastrophique, notre village Chateauvillain est maintenant en zone occupée par l'armée allemande, nous ne pouvons rentrer sans avoir un "Laissez passer" ou "ausweis" approuvé par la police allemande. Nous sommes si nombreux sur les routes de France à vouloir retourner dans notre pays, que les demandes de laissez passer ne sont pas octroyées rapidement, il faut savoir attendre.
Nous ne recevons pas de courrier, tous les services nationaux sont perturbés, nous ne savons pas où est mon père. Il ne sait pas que nous avons quittés notre maison. Nous pensons que nos maisons sont détruites. Après deux mois d'attente dans cette ferme de Corrèze, qui est en Zone Libre, nous avons pu avoir ces "fameux" laissez passer. Maman va chaque jour à l'hôtel de Ville d'Ussel, afin de recevoir l'ordre de retour. Monsieur Triboulet maire d'Ussel, négociant en matériaux de construction, ( même commerce que mes parents tenaient) a aidé maman à recevoir plus rapidement les papiers attendus, ainsi que des "bons d'essence" pour le retour. La voiture consomme beaucoup, nous devons avoir un stock de bons d'essence pour ne pas rester en route.. pour nous c'est indispensable, il faut jouer de quelques ruses pour se procurer ce carburant introuvable.
Une peur indescriptible nous taraude. Un seul point de passage pour rentrer en zone occupée, en bord de Loire vers Gien … Devant les panneaux de signalisations écrits en grandes lettres gothiques noires, dans une langue différente, des militaires arrogants filtrent cette pauvre file d'attente imposante.. composée de gens fatigués, amaigris chargés de matériel hétéroclite, disparate.
Je me souviens nettement de ce grand gaillard, de ses bottes noires montant jusqu'aux genoux, de la plaque posée sur sa poitrine retenue par des chaînes passées autour du cou, de la teinte de son uniforme vert de gris.. de son képi et de ses gants blancs qui nous demande de sa voix gutturale : "Papir.. Papir… schnell"
Quelques hommes français, habillés de cuir noir entourent ces militaires, traduisent et inspectent chaque passage, chaque bagage minutieusement.
Quel effroi, nous sommes pétrifiés en présentant nos papiers.. vers quel avenir allons nous ?.. Ce fut un silence angoissé pendant tout le voyage de retour.
Un matériel militaire imposant, longeait les routes encombrées aussi de véhicules abandonnés, détériorés ne laissant que peu de place pour le passage des voitures.. les militaires allemands, vêtus de l'uniforme en drap "vert de gris", (comme grand nombre de français allaient les appeler, ainsi que doryphores, schleu, )
Ils allaient et venaient parlant fort, criant, vociférant d'une voix gutturale.
Les dents serrées ne pouvant ni parler ni manger nous avancions vers notre région comme vers une terre inconnue.
Une ambiance de défaite, une sensation écrasante, si lourde à porter, pour la petite fille de 11 ans que j'étais, qui en est tombée malade, une fièvre persistante, sans symptômes apparents s'est déclarée, et qui a duré plusieurs jours.
L'air n'avait plus la même légèreté.. une odeur différente flottait, faite de sang et de haine celle de l'inconnu, des souffrances et de la misère.
L'arrivée à Châteauvillain nous a étonné, un village au calme angoissant, moins de militaires, aucune effervescence.. nos maisons bien qu'ayant été fouillées, pillées, étaient toujours là. Qui avait bien pu venir habiter dans nos murs… des voisins curieux, et avide où simplement des pauvres évacués comme nous, qui recherchaient un toit, une protection pour une nuit ou deux.
La France entière déplacée sur les routes, n'avait plus de repaires.
Nous avons reçu de mon Papa, une carte spécialement formatée pour les correspondances exceptionnelles, nous informant qu'il était dans un camp vers les Pyrénées, dans le Tarn à Brassac je crois me rappeler.
Il est rentré plusieurs mois après notre propre retour.
La vie allait continuer ainsi dans la peur et l'angoisse pendant 5 ans, sous le joug de l'occupation Allemande.